Voici que des œuvres de la collection Pinault s'évadent du Palazzo Grassi et de la Punta della Dogana où j'en avais vu certaines, pour s'enfermer à La Conciergerie de Paris jusqu'au 6 janvier prochain.
Ce premier acte d'un projet sur le long terme explore la question de l'enfermement et les œuvres dialoguent avec le lieu historique de la détention que fut La Conciergerie.
Une cinquantaine de propositions : projections, peintures, installations, vidéos qui sont autant de regards d'artistes sur l'enfermement.
Condition due à des facteurs extérieurs : pollutions, crises politiques, totalitarismes, violences... Mais la piste de l'enfermement par rapport à soi-même est aussi présente : schizophrénie, folie, dégénérescence...
Immersion dans l'exposition :
Diana Thater :Chernobyl
Dans la première salle, je suis happée par un réseau d'images qui essaient de reconstituer virtuellement un site sans avoir cependant la volonté d'y parvenir : ici Tchernobyl où cohabitent une végétation "reconstruite "et des bâtiments abandonnés à la hâte. La caméra vacille, tremble... entre fascination et malaise...
Raphaëlle Ricol : Malgré la différence
L'enfermement dans toute son actualité, sa cruauté. L'aliénation. C'est direct, cru, et ça grince vraiment quand on commence à y percevoir de l'humour. Redoutable, et pourtant...
Boris Mikhaïlov : Sots Arts
Un mur de photos prises dans les années soixante en Union Soviétique. Albums de familles ou clichés réalisés par l'artiste lui-même et retouchés directement en y ajoutant des couleurs vives... Quand la propagande donne de l'éclat aux instants ritualisés de la vie... Une ironie désabusée !
Bill Viola : Hall of Whispers
Un tunnel jalonné de vidéos de visages bâillonnés, entravés et dont les bouches s'efforcent d'articuler des sons. Remontent dans nos consciences des idées de tortures, d'empêchements, de verrouillages. Impressionnant !
Kristian Burford : last night you brought a man up to your room after having a late drink at the hotel bar. Knowing that you are HIV positive you had sex which caused him to bleed. After a day of meetings you now return to your room.
Un environnement intime terriblement banal d'où la tragédie n'est cependant pas absente : une chambre d'hôtel où un homme a perdu l'espace d'un instant la maîtrise de lui-même devant son désir sexuel. Donner la mort dans un acte d'amour. Une des questions que pose l'exposition : Sommes-nous maîtres de notre destin ?
Sun Yuan et Peng Yu : Old Persons Home
Une interrogation terrifiante sur la mort, la vieillesse avec ces vieillards assoupis dans leurs fauteuils roulants qui se déplacent en silence comme dans une chorégraphie macabre, puis s'arrêtent de façon aléatoire. La condition humaine dans son effrayante dégénérescence...
Maria Marshall : Don't Let the T-Rex Get the Children
Une caméra qui part sur le gros plan d'un regard d'enfant, d'un sourire, puis elle s'éloigne et nous découvrons une pièce entièrement capitonnée, et cet enfant entravé dans une camisole de force. Nous sommes confrontés à son regard qui ne nous lâche pas dans un pesant silence...
Et puis, les autres propositions... dont celle-ci qui me touche avec ses cartographies urbaines fantastiques et fiévreuses.
Julie Mehretu : Chimera
Autant d'œuvres poignantes, fascinantes, déchirantes et douloureuses... comme peuvent l'être tous les enfermements. Une expo très forte par laquelle il faut passer.
Une fois de plus La fondation Pinault montre le meilleur de l'Art Contemporain, c'est décisif, brutal et violent.
Ces regards d'artistes sont sans concessions et leurs propositions touchent le domaine de nos peurs de la vieillesse, de la maladie, de notre impossibilité à communiquer, nos fantasmes, nos angoisses face à la mort, les catastrophes écologiques, nos verrouillages, la folie et nos résistances aussi.
Ils nous questionnent sur nos destins : subis ou assumés ?
Nous n'y échappons pas.
A voir !