jeudi 28 mai 2009

William Hogarth : le nouveau spectacle social

Contemple-les mon âme ; ils sont vraiment affreux (Charles Baudelaire)


The Rake's progress : La prison
En 2006, Le Louvre avait accueilli une exposition du peintre et caricaturiste Wiliam Hogarth (1697-1764). Je l'avais découvert à cette occasion.
Mon petit faible pour le XVIIIème siècle me donne aujourd'hui l'envie de vous proposer une histoire. Il s'agit du "Marriage-à-la-mode" en Franglais dans le texte. Une série narrative peinte par Hogarth, en six tableaux, ces épisodes s'inscrivent dans la mode littéraire de l'époque en Angleterre.

A travers cette série, Hogarth fustige les moeurs dépravées d'une partie de la "gentry" anglaise, trompant son oisiveté dans la débauche, le jeu et l'alcool, notamment dans ces soirées au cours desquelles, en compagnie de courtisanes et de prostituées on joue au whist en s'imbibant lentement mais sûrement d'un punch très corsé disposé à volonté dans des saladiers qui se vident trop vite et que les domestiques remplissent au fur et à mesure.

L'histoire commence dans la maison de Earl Squander aristocrate désargenté qui arrange un mariage entre son fils et la fille d'un riche marchand. Elle se termine par le meurtre du fils et le suicide de la fille.

Tableau n° 1 "The marriage settlement"



A droite, est assis Squander, le père du futur marié souffrant vraisemblablement de goutte. Il tient son arbre généalogique à la main. Celui-ci converse avec le riche marchand vêtu de rouge qui tient le contrat de mariage. La future épouse s'entretient avec Silvertongue, un jeune avocat, tandis que le futur époux habillé à la mode de Paris se regarde dans un miroir. il porte sur le cou les marques de la syphilis.("French pox" est en anglais, le terme archaïque pour définir cette maladie ).


Tableau 2 : The tête à tête

Une chose est évidente : ce mariage arrangé est un fiasco. Accablement du jeune aristocrate se remettant d'une nuit de débauche et coquetterie de la jeune femme qui réajuste sa tenue tandis que la chaise basculée et le désordre trahissent la fuite inopinée d'un soupirant. Silvertongue ?

Tableau 3 : The Inspection




Ici, le jeune marié se rend dans une officine occulte en compagnie d'une jeune prostituée qui tamponne une plaie sur sa lèvre signe d'un début de syphilis. Celui-ci vient se réapprovisionner en pilules de mercure supposées soigner sa maladie. La tenancière de la boutique porte elle aussi les stygmates de ce mal.

Tableau 4 : The Toilette




Le vieux Squander est mort et le fils porte désormais le titre de noblesse de son père. Sa femme est devenue Comtesse et comme telle, tient une "Toilette", c'est à dire une réception dans sa chambre, autour de sa mise en beauté. Cette usage fait partie de manières les plus huppées de l'époque. Silvertongue, penché vers la dame suggère une liaison entre eux. Cette hypothèse est renforcée par l'enfant à droite au premier plan qui présente des cornes, symbole du "cocufiage" .


Tableau 5 : The Bagnio



Le jeune époux surprend sa femme en compagnie de Silvertongue dans un "Bagnio" qui est une sorte de bain turc voué à la prostitution. L'amant blesse le mari et s'enfuit à la hâte, tandis que la jeune femme implore le pardon de son époux mourant.




Tableau 6 : The Lady's death



Finalement, rendue par son veuvage à une condition beaucoup plus modeste qu'auparavant, la Comtesse finit par s'empoisonner tandis que son amant Silvertongue est pendu à Tyburn pour avoir assassiné le mari de celle-ci. Détail horrible qui nous renvoie à des maladies plus contemporaines comme le sida, l'enfant porte sur le cou le "French Pox" c'est à dire la trace héritée de son père.



Cette Histoire peinte entre 1743 et 1745, contée en six tableaux témoigne du désir de Hogarth de peindre une société dépravée, à la manière de Richardson, ou de Fielding écrivains anglais contemporains. Ce travail s'inscrit dans la veine des récits retraçant les itinéraires des aventurières et prostituées, thème récurrent et très à la mode dans le XVIIIème siècle anglais. En outre, il s'agit ici pour l'artiste, de dénoncer les ravages des mariages arrangés et les intrigues matrimoniales qui en sont souvent les conséquences.


« Je me suis efforcé de traiter mes sujets comme un auteur dramatique, lit-on dans ses Notes autobiographiques, le tableau est pour moi la scène d’un théâtre où hommes et femmes sont mes acteurs qui, au moyen de certains gestes et certaines actions, sont censés présenter une pantomime ».

"Sexe, prostitution, syphilis, alcool, criminels, enfants pervers, mères indignes, le vice comme le rire circulent sans frein ni limites. Un siècle plus tard, le poète des Fleurs du Mal ne pouvait que s’incliner devant cet amant précoce des beautés infernales."(S Guegan en 2006 à l'occasion de la présentation de l'expo au Louvre)

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